D32- La Nouvelle-Calédonie du 3 septembre 1879.
"Ce que doit être le journal."
La Nouvelle-Calédoniea publié, dans son numéro du 27 août, un article signé G.L. sur les conditions dans lesquelles peut exister un journal local.
Les idées émises dans cet article sont tellement étranges, qu'il ne saurait rester sans réponse.
J'entre tout de suite dans le vif de la question.
L'auteur soutient qu'il faut que le journal soit la propriété d'une société par actions qui aura un conseil d'administration une direction politique, une rédaction.
Il ajoute que "il appartient à l'assemblée générale de décider d'une façon générale quelle forme de gouvernement le journal prétend défendre."
Comment, voilà un journal qui tombe parce qu'il était monté par actions et on préconise ce système ?
L'auteur ne sait donc pas tout ce qu'il a. fallu de tact, de souplesse pour soutenir jusqu'à ce jour l'existence du journal.
Et cependant le journal les Petites Affichesd'abord la Nouvelle-Calédonieensuite, représentaient l'opinion de la majorité des actionnaires.
Mais je cherche en vain ce qu'il peut y avoir de moins stable que l'opinion des actionnaires ! l'action est une valeur qui peut changer de propriétaire plusieurs fois par jour. Le journal sera donc à la merci d'une transaction quelconque.
Républicain aujourd'hui, devra-t-il être impérialiste demain, en attendant qu'une nouvelle transmission d'actions le mette dans l'obligation de devenir orléaniste.
Devra-t-il à chaque assemblée générale brûler ce qu'il a adoré ?
C'est le sort qui attend le journal avec ce système de l'article auquel nous répondons.
Le journal, s'il veut vivre, ne doit pas représenter l'immense majorité des actionnaires, mais bien l'opinion de la majorité des habitants, les actionnaires du journal ne pourraient avoir la prétention de faire la loi. Qu'arriverait-il ? c'est qu'immédiatement un autre journal se créerait et les actionnaires du premier resteraient avec leur opinion cela est possible, mais sans abonnés.
Ce qu'il faut en Nouvelle-Calédonie c'est un journal de politique toute locale qui ne touche pas ou peu à la politique générale, que pour que les lecteurs n'ignorent rien des événements qui se présentent dans ce continent.
Il faut que ce journal soit lié à l'imprimerie et que toute l'opération soit entre les mains de trois ou quatre bailleurs de fonds au plus.
Il faut que ce journal représente l'opinion de la majorité des habitants tout en restant accessible à toutes discussions.
Mais par-dessus tout il est une chose qui est indispensable à ce journal, il faut qu'il soit écrit en français.
Le temps est précieux dans ce pays, et comme disent les Anglais : "Time is money."
Il ne faut pas donner place à des élucubrations d'outre-tombe.
Il est bien d'être profond, mais il ne faut pas incompréhensible.
Le souffle humain a des limites, et il ne faut pas abuser de ses moyens.
En résume, en traitant à fond les questions intéressant le pays, en faisant de la politique juste ce qu'il en faut en publiant des articles bien pensés, bien écrits ; un journal entre les mains de trois ou quatre actionnaires au plus a de l'avenir.
J. BOUILLAUD