PREMIERE PARTIE
HISTOIRE DE LA PRESSE DE NOUVELLE CALEDONIE
(1859 - 1900)
I - L'époque du journal unique (1859 - 1875).
1 - La colonie sans journal.
La naissance de la presse en Nouvelle-Calédonie a eu un caractère officiel. Le dimanche 10 octobre 1859 paraissait le premier numéro du Moniteur Impérial de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances; avant cela, rien, ou très peu de chose.
La prise de possession remontant au 24 septembre 1853, la colonie était restée depuis sans presse aucune, ce qui a pu donner à penser que les décisions du gouverneur ou du commandant particulier n'étant pas publiées dans un journal officiel étaient sans portée réelle, voire même sans valeur. Cette opinion est erronée : jusqu'à ce que le décret impérial du 14 janvier 1860 lui attribue un gouvernement particulier, la Nouvelle-Calédonie dépend du gouverneur des Établissements Français de l'Océanie dont le siège est à Tahiti, c'est donc à Papeete que devait paraître un organe de presse officiel pour publier les arrêtés et décisions du gouverneur, pas à Port-de-France.
D'autre part, la population civile de la Nouvelle-Calédonie était inférieure à deux cents personnes en 1858, point n'était besoin d'un journal officiel pour une société si peu nombreuse, la publicité des actes du Gouvernement par voie d'affiche était amplement suffisante. Le premier numéro du Moniteurressemble d'ailleurs davantage à une affiche qu'à un journal, c'est une simple feuille de 44,5 cm, sur 27 cm, imprimée en lithographie d'un seul côté.
Cependant, le décret impérial du 14 janvier 1860, prenant effet le 10 juillet, n'a été connu en Nouvelle-Calédonie qu'au mois de juin (il fut publié dans Le Moniteur du 17) ; alors, pourquoi un journal officiel propre à la Nouvelle-Calédonie et dépendances dès octobre 1859 ? Il y a là une apparente contradiction avec ce que j'ai soutenu précédemment. C'est qu'en fait, l'administration de la Nouvelle-Calédonie avait été séparée de celle de Tahiti par décision du gouverneur des Établissements Français de l'Océanie en date du 13 juin 1859 pour prendre effet le 1er juillet de la même année (1) . Dès lors il était nécessaire de respecter les formes et, même si l'archipel calédonien n'avait rien encore de bien policé, il fallait mettre en place les éléments de l'infrastructure d'une colonie française d'avenir : le journal officiel était l'un de ces éléments fondamentaux.
On possède une feuille lithographiée datée du mois de novembre 1858 représentant "Le Départ de M. le Gouverneur Du Bouzet" et portant en guise de titre l'en-tête suivant : L'Entr'acte - Journal du Théâtre –.(D01)
Il s'agit du plus ancien imprimé néo-calédonien s'intitulant journal que l'on connaisse. L'illustration représente une prise d'arme devant la rade de Port-de-France où des navires attendent le gouverneur pour mettre à la voile.
Vraisemblablement, L'entracte n'a eu de journal que le nom, nous sommes plutôt là en présence de la couverture d'une brochure contenant essentiellement le programme des représentations données par le théâtre de Port-de-France, sans doute accompagné d'un compte-rendu des cérémonies du départ du gouverneur. Cette brochure a dû être distribuée ou vendue aux spectateurs du théâtre plutôt que répandue "en ville".
Cette modeste feuille est néanmoins précieuse à mes yeux parce que son existence atteste qu'il existait à Port-de-France, au plus tard en novembre 1858, un matériel d'impression, peut-être fabriqué sur place, et un imprimeur-artiste-lithographe capable de l'utiliser pour réaliser L'Entr'acte.
Sans être grand expert, on reconnaît dans le dessin et l'écriture qui figurent sur ce Journal du Théâtre la main de Louis Triquéra, sous-officier qui devait devenir la cheville ouvrière du Moniteur durant toute sa période lithographique.
2 - Le Moniteur Impérial de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances, journal officiel lithographié (2 octobre 1859 - 29 décembre 1861).
Nous avons vu combien modeste d'apparence était le premier numéro du Moniteur ; on ne trouve même pas dans ses deux colonnes son acte de naissance et il ne nous apprend rien sur l'imprimerie du Gouvernement, d'où il est sorti, sinon qu'elle est exclusivement lithographique et gérée par un nommé Poincignon.
Cependant, quand on y prête un peu attention, le contenu de ce premier Moniteurmanifeste quelques ambitions de la part de ceux qui l'ont conçu : tout d'abord, il présente une Partie officielle où, en plus des arrêtés du gouverneur, on trouve des Avis au caractère mixte d'information et de directive. Il comporte également une Partie non officielle entièrement consacrée à quelques aspects de la vie locale : construction achevée d'un "magnifique magasin" à vin et à farine par l'équipage de la Thisbé, présence de la troupe comique du Théâtre de Lorient (troupe constituée par des soldats de la garnison), accord de gré à gré du Gouvernement local avec une maison de commerce de la place pour l'acheminement du courrier de la colonie. Quelques sous-titres complètent la Partie non officielle : les Nouvelles locales décrivent très brièvement la visite du gouverneur Saisset aux fins de contrôler l'avancement des travaux de Port-de-France, Bâtiments sur rade rend compte des navires à l'ancre et la rubrique Théâtre annonce la reprise des représentations pour le 3 novembre avec à l'affiche deux vaudevilles en un acte et deux chansonnettes comiques.
Peu de chose on le voit, mais le caractère bivalent de ce journal qui devait être le seul digne de ce nom dont la colonie pourrait se prévaloir pendant quinze ans, était exprimé d'emblée et, durant ses quelques mois d'existence, Le Moniteur lithographié allait même "inventer", avec quelques tâtonnements indiscutables, certains des traits de caractère de la presse néo-calédonienne dont la permanence durant la période qui fait l'objet de notre étude devait se révéler très solide.
- Le second numéro, imprimé recto verso, fait appel, en deuxième page, aux personnes instruites pour contribuer au progrès du Moniteur. Par manque de collaborateurs permanents qu'ils ne pouvaient entretenir, les journaux calédoniens durent par la suite ouvrir fréquemment leurs colonnes aux écrivains et reporters amateurs et solliciter leur participation.
- Dès le numéro 20, on rencontre dans Le Moniteur des emprunts aux journaux australiens ou français, cette pratique devait devenir par la force des choses une habitude pour la presse calédonienne soucieuse d'informer son public des nouvelles du monde.
- D'autres rubriques ont fait ensuite leur apparition qui allaient être ultérieurement reprises par la presse locale, ce sont entre autres : les Observations Météorologiques, la Rubrique des Tribunaux, les Nouvelles Locales, Variétés, État Civil, Mouvements du Port, Faits Divers, Nouvelles Étrangères, etc...
- À partir du numéro 6 on trouve quelquefois des feuilletons. Il est vrai cependant que le "Premier Feuilleton", ainsi pompeusement présenté, n'en est pas véritablement un puisqu'il s'agit d'une ode militariste en quatorze strophes extraite du Moniteur Universel. Par contre, du numéro 47 au numéro 78, avec une interruption du numéro 66 au numéro 79 le R.P. Montrouzier, curé de Napoléonville (Canala), fait paraître des Fragments Historiques qui constituent une intéressante description de la Nouvelle-Calédonie à une époque où les missionnaires étaient les seuls blancs établis à demeure.
- Lorsque, à l'occasion d'un changement de gérant (N° 51), Le Moniteur ouvre ses colonnes à la publicité privée avec la rubrique Annonces et Avis Divers, il présente alors tous les aspects du journal à la fois officiel et d'information qu'on souhaite qu'il soit.
Les hommes qui ont eu à cette époque la responsabilité du Moniteur et de l'imprimerie étaient peu nombreux et nous sont plutôt mal connus. On ne sait rien de Poincignon qui en fut le premier gérant. Quant à Louis Triquéra qui lui a succédé à partir du 16 septembre 1860, il était celui sur qui reposait toute la réalisation du journal ; seul imprimeur-lithographe de l'Administration, il devait écrire les textes, illustrer, mettre on page et tirer Le Moniteur chaque semaine. (D02)
On doit à Triquéra les plus beaux exemplaires du Moniteur jamais parus puisqu'il en a parfois orné le titre et qu'il a illustré certains numéros de vues locales d'une facture un peu naïve mais précieuses pour les détails de leur représentation. (D03)
À dire vrai, Le Moniteur ne comporte durant cette période que fort peu d'articles et les signatures ne sont pas nombreuses. Outre le feuilleton déjà mentionné, le R.P. Montrouzier, passionné de sciences naturelles, est l'auteur d'un article sur les sauterelles, fléau de l'agriculture calédonienne, et aux moyens de les combattre ; sans doute est-ce lui également qui dans les Variétés du numéro 14 préconise de rassembler des collections sur la Nouvelle-Calédonie.
On trouve également la signature de deux marins : le lieutenant de vaisseau Adolphe Mathieu rend compte du périple qu'il a réalisé autour de la Grande Terre à bord de l'aviso Coëtlogon ; à la suite d'une expédition du même genre, le lieutenant de vaisseau H. Jouan rédige une Notice sur les Loyalty. Le chef du cadastre Adam Kulczycki fait paraître des Observations Météorologiques, régulièrement, ainsi que des articles sur l'éclipse de soleil du 6 janvier 1861 et sur le passage de la comète visible le 26 mars suivant.
Dans les faits, jusqu'à la fin de 1860, pratiquement tous les articles sont consacrés aux activités locales : vie quotidienne, directives administratives, conseils aux colons, rapports d'expéditions.
En 1861, les articles sur la Nouvelle-Calédonie se font plus rares, une plus large place est dédiée aux nouvelles du monde extérieur, la presse métropolitaine est davantage sollicitée, au point même qu'on lui emprunte un article sur l'île d'Ouvéa, de l'archipel des Loyauté. Il semble que Le Moniteur soit alors destiné à satisfaire un public, fort restreint encore puisque la population européenne recensée en cette année-là se chiffre, militaires non compris, à 456 personnes. L'effectif militaire, sans être considérable, s'est accru, passant de 187 en 1860 à 798 en 1861. Ces lecteurs éventuels ne sont pour la plupart pas attachés à la colonie, pas encore ou bien peu, il leur faut donc des nouvelles du monde qu'ils ont quitté en venant, même à titre provisoire, s'établir si loin de la "Civilisation". D'autre part, la Nouvelle-Calédonie est encore très insuffisamment explorée et la matière manque généralement à l'imprimeur-gérant du Moniteur pour faire tenir à son journal le rôle d'informateur didactique qu'il jouera parfois plus tard et que reprendront à leur compte la plupart des journaux indépendants. Il est vrai que la Grande Terre n'est pas facile à parcourir en raison de son relief tourmenté, de sa végétation et des populations indigènes peu sûres.
LeMoniteur qui cherchait son aspect le plus favorable, fut imprimé sur trois colonnes à partir du numéro 44. À ce changement de pure forme, peut-être rendu nécessaire par une plus abondante copie à faire tenir sur une surface invariable, s'ajoute également un changement plus fondamental par le fait que, du temps de la gérance de Triquéra, le journal perdit un peu de son caractère officiel. En effet, le 30 septembre 1860, pour la première fois les lecteurs du Moniteur purent avoir l'illusion de tenir entre leurs mains un journal libre de la tutelle gouvernementale : il ne comportait pas cette semaine-là de Partie Officielle. Ce fait, dans lequel il faut se garder de voir une intention délibérée, devait par la suite se reproduire de temps en temps.
Ce n'était pas un bien grand public que touchait Le Moniteur. Destiné en priorité aux bureaux de l'Administration, il était vendu aux particuliers uniquement par abonnements trimestriels au tarif de 12 F par an. On en est réduit à faire des suppositions quant au nombre d'exemplaires tirés pour chaque numéro : les problèmes d'approvisionnement en papier, les possibilités limitées du tirage lithographique, la capacité d'utilisation par une population encore bien restreinte ajoutés au fait que Le Moniteur, typographié à partir de 1862, sortirait à deux cents exemplaires par numéro, tout cela nous permet d'estimer que Le Moniteur lithographié devait produire entre cent cinquante et deux cents exemplaires de chaque livraison tout au plus.
3 Le Moniteur de la Nouvelle-Calédonie (5 janvier 1862 - 16 juin 1886).
Durant cette longue période, l'évolution du journal officiel de la colonie comporte au moins trois étapes, que je vais prendre successivement en considération relativement au séjour dans la colonie du premier gouverneur en titre de la Nouvelle-Calédonie et dépendances.
- Avant le gouverneur Guillain.
Le 24 mai 1861 arrivaient à Port-de-France, par la frégate Iphigénie, Louis-Joseph Pelletier, "Chef de l'Imprimerie du Gouvernement" et Louis Mostini, "compositeur-typographe".
Les cales de l'Iphigénie, recelaient-elles le matériel nécessaire à l'établissement d'une imprimerie typographique ou ce, matériel est-il arrivé par un autre navire ? Je ne le sais pas. Toujours est-il que, si pendant six mois Le Moniteur continue de paraître sous sa forme première, lithographié par Triquéra qui en demeure le gérant, le premier numéro de 1862 est typographié et sa lecture nous apprend qu'une profonde réorganisation du journal et de l'imprimerie vient d'avoir lieu,
Cette fois le journal officiel est bien rodé et l'acte de "re-naissance" du Moniteur, établi par décision du 31 décembre 1861, s'étale en première page du numéro 119 du dimanche 5 janvier 1862, lequel numéro illustre cette décision. (D04)
Les changements sont nombreux :
- Le titre devient Le Moniteur de la Nouvelle-Calédonie et porte en sous-titre Journal Officiel de la Colonie.
- La présentation se fait de nouveau sur deux colonnes mais le journal est désormais destiné à être imprimé sur double feuille, c'est-à-dire qu'il comportera quatre pages et sera même quelquefois augmenté de Suppléments qui pourront porter son volume à six, huit ou douze pages.
- Le prix de l'abonnement est augmenté, il passe à 18 F l'an, ou 10 F par semestre, ou encore 6 F par trimestre, "frais de port en sus". Les annonces sont facturées 50 c la ligne et il n'est jamais compté moins de cinq lignes.
- Il n'y a plus de gérant particulier. Selon les articles 4 et 5 de la décision, la gestion financière est confiée à l'ordonnateur qui se trouve chargé de faire appliquer l'ensemble des mesures décidées le 31 décembre par le commandant Durand. En page deux, l'ordonnateur fait connaître ses instructions pour le recouvrement et la comptabilité des abonnements et insertions : le chef de l'imprimerie est responsable des recouvrements qui lui sont confiés, il doit les reverser contre reçu au Trésor tous les trimestres ou tous les mois suivant l'importance des fonds, tenir une comptabilité et établir un relevé, général annuel des produits du journal officiel de la colonie.
- L'article 2 maintient la division générale en deux parties : la première, la Partie officielle, étant destinée à contenir tous les actes législatifs et d'administration du Gouvernement local et ceux du Gouvernement métropolitain qui seraient publiés et promulgués dans la colonie ; la seconde, la Partie non officielle, devant comprendre les publications sur l'industrie et le commerce en général, ainsi que des articles littéraires ou scientifiques autorisés à la reproduction. Un feuilleton est prévu. Le Moniteur recevra en outre les, annonces et avis divers que les particuliers demanderaient à faire publier.
- Les colonnes du journal seront ouvertes aux personnes qui voudront bien lui prêter leur collaboration, dans les limites qu'une feuille officielle doit observer. Toutefois, cet appel à la collaboration bénévole était assorti de directives destinées à en contrôler strictement la teneur : "...les insertions ont lieu sur le manuscrit signé de la main de la personne qui en demande la publication et qui doit le présenter au visa et à l'enregistrement du Bureau de l'Intérieur".
Dans le numéro 120 du 12 janvier sont indiqués le tirage, la répartition et la distribution à titre gratuit du Moniteur du Bulletin et de L'Annuaire. C'est la première fois qu'il est fait mention de ces autres publications officielles, prévues mais non encore réalisées : le premier Annuaire ne devait être imprimé qu'en 1872, quant au Bulletin Officiel, c'est en août 1862 qu'il a paru pour la première fois (Décision du 9 août 1862). Le Bulletin et L'Annuairedevaient tirer chacun à cent exemplaires et Le Moniteur à deux cents, dont cent distribués gratuitement aux divers services administratifs de la colonie et du Ministère, seize adressés à titre d'échange à la direction de journaux étrangers, métropolitains ou coloniaux. Le numéro 126 indique un supplément de trois échanges avec des journaux parisiens, à prendre sur la réserve restant en dépôt à 1'imprimerie du Gouvernement.
À partir du numéro 121, sous le titre, à droite, dans la, partie réservée au tarif des annonces, on lit la mention "Chaque numéro se vend séparément 1 F ".
Le changement survenu en janvier 1862 était d'importance et devait paraître encore plus sensationnel qu'à nous aux lecteurs de la colonie : le procédé typographique était indiscutablement supérieur au procédé lithographique, par trop artisanal, car si l'on n'avait plus, de temps en temps, la surprise de découvrir une gravure dans le journal, en revanche sa capacité était plus que doublée et sa lecture rendue plus facile et donc plus agréable. D'autre part, ce n'est pas à négliger, la Partie non officielle était gagnante dans cette extension de la surface imprimée puisque les publications officielles, d'ailleurs variables en quantité, ne devaient pas s'accroître beaucoup de 1861 à 1862, ni par la suite, si ce n'est incidemment et souvent par le biais de suppléments.
Cependant, pour le lecteur qui s'intéresse à l'histoire et à la vie de la colonie, le contenu du Moniteur du premier semestre 1862 est très décevant : en dehors du compte-rendu assez bref d'une insurrection canaque dans la région de Wagap et de l'énumération des citations honorifiques récompensant les actes de bravoure des soldats durant la répression, que l'on trouve dans la Partie Officielle, il n'y a pas grand chose dans la Partie non officielle qui se rapporte à la Nouvelle-Calédonie. La politique adoptée à partir du numéro 50 de privilégier les nouvelles extérieures s'est maintenue, peut-être même accentuée : deux articles sont signés, il y est question des Indes néerlandaises (Hérite, numéro 127) et du lapin de garenne (Toussenel, même numéro), les feuilletons ont pour sujet la Basse Cochinchine (numéros 129 et suivants) ou sont traduits du néerlandais ou de l'italien (numéros 123 et suivants), le tout emprunté à des journaux métropolitains. Adam Kulczycki, le seul habitant de la colonie qui signe un article durant cette période, conclut par une Notice sur les Comètes ses deux articles de 1861 relatifs à la comète observée du 23 au 27 juin.
- Le Moniteur sous le gouvernement de Charles Guillain.
Tout change à partir du mois de juin 1862. Le numéro 143 inaugure dans la Partie non officielle une nouvelle rubrique, la Chronique Néo-Calédonienne signée H. Béraud. Sept Chroniques sont publiées en deux mois, ainsi que quatre rapports d'exploration de la Grande Terre, cinq pièces en vers d'Armand Closquinet relatant des souvenirs du voyage de France à la Nouvelle-Calédonie, de nombreux entrefilets plus ou moins longs se rapportant à la colonisation, à l'agriculture locale, au théâtre et aux fêtes de Port-de-France, à la vie de tous les jours dans la colonie. En bref, si les nouvelles de l'extérieur ne sont pas négligées (le numéro 148 comporte une description du Monitor et du Merrimac, les deux navires cuirassés qui se sont affrontés pendant la guerre civile aux Etats-Unis, et à partir du numéro 149 paraît la rubrique Courrier Mensuel qui résume les nouvelles apportées par la liaison maritime régulière avec la métropole), elles sont parfois directement intéressantes pour la colonisation (numéro 160, Banques Coloniales) et les nouvelles locales prennent une bien plus grande place.
Que s'est il passé ? Le 2 juin, le gouverneur Charles Guillain a pris ses fonctions à Port-de-France. Nommé, gouverneur de la Nouvelle-Calédonie et dépendances par Napoléon III le 14 décembre 1861, ce marin énergique était le type d'homme qui pouvait organiser le développement de la petite colonie éloignée dont l'évolution demeurait stationnaire depuis que la France en avait pris possession. Après huit ans de présence française, la Nouvelle-Calédonie restait mal connue, pauvre ; l'implantation coloniale, réduite à un embryon de 393 civils, était en régression et demeurait cantonnée presque exclusivement dans le périmètre de Port-de-France où il n'y avait ni rues dignes de ce nom, ni port aménagé, ni réseau de distribution d'eau douce et plus d'institutions urbaines depuis juillet 1861, après un essai d'organisation municipale qui avait pris fin au bout d'un an faute d'argent. Pas de routes non plus, le seul moyen de communication employé pour aller d'un point à l'autre de l'île était le bateau, la pénétration vers l'intérieur demeurait pratiquement nulle.
Tout restait encore à faire, la tâche était énorme, à tel point que le nouveau gouverneur allait être amené à effectuer des choix, à établir un ordre de priorités.
Il est à remarquer que dans un rapport au ministre daté du 4 août 1862, où il fait un tableau pitoyable de la colonie, Guillain mentionne Le Moniteur ; il n'en fait pas l'éloge, loin de là, il le qualifie de "journal parfaitement insignifiant". Ce jugement sévère n'était pas inexact, nous avons vu ce qu'était Le Moniteur au début de 1862 : comme organe de colonisation il n'avait qu'une bien médiocre valeur. Pour Guillain, imprégné des idées socio-économiques de son temps, chères également à l'empereur, la presse devait être un outil pour répandre les idées et les connaissances indispensables au progrès matériel et social nécessaire au bonheur de tous. De ce point de vue, en Nouvelle-Calédonie, le progrès passait nécessairement par la colonisation qui devait mettre en valeur les richesses potentielles de ces terres vierges.
Guillain réorganise donc le journal pour en faire un instrument efficace de sa politique. Marin, il accorde sa confiance à un marin de son proche entourage, son chef d'état-major, le lieutenant de vaisseau Adolphe Mathieu, depuis un an dans la colonie en tant que commandant de l'aviso à vapeur Coëtlogon stationné à Port-de-France.
Mathieu était un homme de valeur et sa collaboration dut être appréciée par le gouverneur puisqu'il allait en faire par la suite son "Secrétaire Colonial", fonction nouvelle qui institua en Nouvelle-Calédonie une Direction de l'administration du Gouvernement local. En attendant, le gouverneur confie au lieutenant Mathieu la direction du Moniteur par arrêté, du 27 juin 1862.
Cet arrêté est pris très exactement vingt et un jours après l'arrivée du gouverneur, c'est assez dire l'importance qu'attachait Guillain à faire rapidement du Moniteur un journal selon ses vœux, qui serait le héraut de sa politique dans la colonie, et surtout à Paris.
Les considérants qui précèdent le texte proprement dit de l'arrêté résument la pensée et les objectifs de Guillain, ils vont bien au-delà de la simple réorganisation d'un journal :
"Éviter la dispersion des activités de l'Ordonnateur et prendre plus directement en main par l'intermédiaire du Chef d'État-major la direction du journal dont l'utilité bien comprise doit être de constituer une tribune où se rencontreront les idées et les connaissances susceptibles d'accélérer le développement de la colonie en évitant les tâtonnements et la dispersion des efforts individuels quand faire se peut."
Dans ce but, les colonnes du journal sont ouvertes à tous et, compte tenu des habitudes de l'époque, les formalités d'insertion sont simplifiées au maximum.
Pour favoriser la diffusion des connaissances utiles, le prix du Moniteur est abaissé et unifié quelle que soit la durée de l'abonnement (12 francs l'an, 6 francs le semestre, 3 francs le trimestre) : d'une part, les habitants de la colonie susceptibles de s'abonner n'étant pas tous bien riches, il était préjudiciable du point de vue économique et injuste du point de vue social de faire payer plus cher le colon qui, en situation précaire, prenait un abonnement de trois mois, que celui pour qui les douze francs de l'abonnement représentaient un débours négligeable ; d'autre part l'instabilité de l'implantation coloniale n'incitait pas les immigrés européens, peu sûrs de rester, à s'abonner pour une longue durée. Au numéro, Le Moniteur est vendu cinquante centimes ; quoique coûteux par rapport au tarif de l'abonnement, à ce prix il revenait cependant deux fois moins cher qu'auparavant.
Cette politique de promotion des ventes jointe à une orientation davantage populaire et tournée vers la colonie porta ses fruits si l'on en juge par l'accroissement du tirage du journal officiel qui allait passer à 225 exemplaires par numéro à partir du 12 mars 1863 sans que le nombre de journaux distribués gratuitement aux administrations ait été modifié et sans que l'augmentation de la population civile justifiât cette mesure de façon probante.
À partir de 1864, le tarif de l'annonce est modifié par l'établissement d'un tarif dégressif destiné à favoriser l'insertion répétée d'une même annonce sur plusieurs numéros successifs. On peut également voir dans cette mesure un souci de rentabiliser un peu le journal en augmentant la part des revenus publicitaires ; même l'Administration avait besoin d'argent. Les recettes du budget local publiées alors font apparaître les chiffres suivants pour les Revenus de l'Imprimerie :
1859 : 225 F
1860 : 1115 F
1861 : 828,6O F
1862 : 1270 F
1863 : 2353,35 F
1864 : 4925,99 F
Pour 1859, cette recette ramenée à douze mois donnerait 1350 francs. Ainsi, depuis sa création jusque en 1861, les recettes du Moniteur sont en baisse, ensuite elles sont en augmentation croissante : l'indice de progression d'une année sur l'autre est de 1,53 en 1862, 1,85 en 1863, 2,09 en 1864. L'affaire de presse, après avoir hésité pendant deux ans, comme si la colonie n'était pas destinée à se développer, semblait prendre un timide essor.
Aucun détail n'est donné par nos sources sur les travaux exécutés par l'imprimerie du Gouvernement susceptibles de produire des rentrées d'argent. Les chiffres tels qu'ils sont établis montrant un progrès régulier des recettes de l'imprimerie à partir de 1862, permettent de déduire d'une part que la colonie a de plus en plus besoin de cette industrie, d'autre part que les revenus qu'elle assure sont encore bien loin d'être suffisants pour inciter un particulier à investir dans ce domaine. Sans tenir compte de tous les frais, sur lesquels on ne possède aucune indication, -coût du papier, remplacement du matériel usé, appointements des employés de l'imprimerie-, les chiffres indiqués permettent de calculer une rentrée moyenne de 13,50 francs par jour en 1864 ; c'était notoirement insuffisant quand on sait qu'à Paris le salaire quotidien d'un ouvrier typographe s'élevait alors à six francs.
La première période du Moniteur est définitivement close le 17 février 1865, ce jour-là un arrêté du gouverneur supprime l'atelier de lithographie du Gouvernement (2) . Louis Triquéra, "ancien lithographe", termine là sa carrière d'homme de presse sans doute improvisée, il est nommé "écrivain - dessinateur" au service du Cadastre par décision de la même date.
À cette époque, le journal officiel est devenu ce que Charles Guillain voulait qu'il fût : un instrument au service de sa politique. Les colonnes du Moniteur sont tout entières consacrées à l'évolution de la colonie et aux actes du gouverneur à tel point que bien des aspects de la personnalité de cet homme peuvent être pleinement appréhendés rien qu'à la lecture du journal officiel.
On a vu en Guillain un "fouriériste", plus récemment on a entrepris de démontrer qu'il était plutôt un "explorateur et gouverneur saint-simonien" (3) . À travers la lecture du Moniteur le gouverneur Guillain nous est apparu comme un homme actif, efficace lorsqu'il s'agissait de réaliser des tâches ayant un caractère militaire ; efficace encore, mais moins sûr dans ses décisions, lorsqu'il s'agissait de régler des problèmes d'ordre purement civil ; plus nettement utopiste quand il était question des hommes sur lesquels il fondait ses espérances colonisatrices ; conscient en tout cas de l'importance de la publicité à faire autour d'une entreprise coloniale pour la mener à bien.
Si occasionnellement Guillain publie dans la presse coloniale métropolitaine des notes destinées à attirer les colons en Nouvelle-Calédonie, c'est surtout par le biais du Moniteur, reçu à titre d'échange par treize journaux français et six journaux étrangers, qu'il entend agir. (4)
La lecture du journal officiel de la colonie est sur ce point très édifiante, tout y est conçu pour séduire l'émigrant hésitant qui se documente avant de s'engager dans un choix décisif.
Aux principales objections soulevées contre la. Nouvelle-Calédonie en tant que terre de colonisation, Le Moniteur apporte des réponses.
- L'éloignement ? Des souvenirs de voyage vers la Nouvelle-Calédonie, présentés de façon poétique dans plusieurs numéros (5) , dépouillent la traversée de tout ce qu'elle peut avoir d'inquiétant, n'en conservant que l'aspect séduisant d'une croisière romantique vers les mers du sud.
- L'inconnu ? Les comptes-rendus d'exploration de la Grande Terre et des autres îles de l'archipel sont nombreux et ne concernent plus seulement les franges côtières, on peut lire des récits de voyages à pied dans l'intérieur (6) . L'accent est mis sur tout ce qui peut donner de la Nouvelle-Calédonie une image de la société française : les festivités du 15 août en l'honneur de l'empereur, le théâtre, les courses de chevaux pour ce qui est des loisirs ; le culte, l'administration locale, la justice, l'état civil, la poste, le service de santé, les écoles et l'orphelinat pour ce qui est des principaux services nécessaires à la cité ; le marché de Port-de-France et le détail des marchandises importées pour ce qui se rapporte aux nécessités économiques quotidiennes du ménage.
- L'insécurité ? Les histoires de marins qui pouvaient courir sur la férocité des insulaires anthropophages ne sont pas démenties, mais de longs développements font état des rivalités entre tribus à l'occasion de conflits localisés, ainsi qu'aux soulèvements indigènes parce qu'ils sont toujours facilement et inflexiblement réprimés. Montrer la réalité mélanésienne avec ses divisions, sa rusticité son impuissance devant la présence militaire de la France, c'était démythifier la question et donner aux immigrants l'assurance qu'ils pourraient coloniser sans craindre trop pour leur sécurité.
- L'isolement ? L'accent est mis sur la proximité de l'Australie et de !a Nouvelle-Zélande, sur la régularité des courriers qui tous les mois apportent des nouvelles de France ainsi que des marchandises de toutes sortes, établissant un véritable cordon ombilical avec la mère patrie. On insiste surtout sur la sollicitude d'une Administration bien structurée qui accorde toute son attention aux colons pour faciliter leur établissement en répartissant les terres disponibles et en apportant aide matérielle et conseils pour la mise en valeur du sol.
Ces Conseils aux Colons qui paraissent pour la première fois dans Le Moniteur du 15 mars 1863, sont nombreux et variés car on fait appel à toutes sortes d'émigrants. On connaît encore mal les aptitudes et les ressources de l'île mais l'agriculture tropicale et l'élevage semblent pouvoir y prospérer. On trouve ainsi dans Le Moniteur des articles prenant pour sujet le coton, le vanillier, le café, le manioc, le coprah, divers animaux d'élevage…
En 1865, c'est en faveur de la canne à sucre que fait campagne l'officiel de la colonie. Cette culture semblait alors la plus prometteuse parce qu'elle présentait le double avantage de donner par son développement naissance à une industrie et qu'elle était susceptible d'attirer de nombreux colons de la Réunion où la maladie de la canne à sucre provoquait alors faillites sur faillites.
Au mois de septembre 1864, un groupe de colons réunionnais dirigés par Louis de Tourris, arrivait à Port-de-France pour étudier les possibilités d'installation d'établissements sucriers en Nouvelle-Calédonie. La visite fut concluante et un rapport favorable établi par Louis de Tourris parut dans Le Moniteur du 6 novembre.
Déjà en 1858, quelques colons avait quitté la Réunion pour venir s'établir dans la vallée de la Dumbéa et y avait entrepris la plantation de la canne à sucre. Ces colons avaient relativement prospéré et Le Moniteur du 10 septembre 1865 relate la cérémonie d'inauguration de la première usine à sucre.
Par la suite, le journal officiel emprunte au Moniteur de la Martinique le Traité de Fabrication du Sucre de canne aux Colonies, de A. Guignod, le fait paraître fragmenté sur plusieurs semaines, puis engage la première polémique de l'histoire de la presse calédonienne pour défendre la colonisation du pays par la canne à sucre.
Cette polémique a pour point de départ un article de La Revue du Monde Colonial qui, pour comparer les types de colonisation français et anglais, avait évoqué le piètre développement de la Nouvelle-Calédonie par rapport à l'Australie voisine. L'Economiste Français avait pris la défense de la colonie française, montrant avec justesse ce qu'avait de disproportionné une telle comparaison. Là-dessus, Le Moniteur de la Réunion avait publié un article signé "Péhut", alias Thomy Lahuppe, prenant le parti de La Revue du Monde Colonial et dénigrant la Nouvelle-Calédonie, prétendant que le rédacteur de L'Economiste Français ne connaissait pas cette terre.
Le Moniteur de la Nouvelle-Calédonie, par la plume, de F. Romagné, riposte longuement, renvoyant son homologue réunionnais à ses propres articles du début de l'année, relatifs à la visite de Louis de Tourris et favorables à la Nouvelle-Calédonie, montrant les succès obtenus par les Réunionnais installés dans la vallée de la Dumbéa et qui ont persisté dans leur entreprise avec bonheur, critiquant les planteurs de la Réunion qui ont utilisé le crédit avec exagération et se sont ruinés, qui manquent d'esprit d'entreprise et n'acceptent de coloniser que si les terres leur sont données. Romagné conclut en invitant les émigrants de la Réunion à choisir la Nouvelle-Calédonie plutôt que Madagascar, qu'il prétend bien connaître et qui n'est pas favorable, selon lui, à la colonisation par les Européens. (7)
La lecture de ce long article de trois pages ne manque ni d'être agréable ni d'être instructive. On y trouve franchement exprimé que la colonisation telle que la souhaite le gouverneur suppose des bras et de l'argent, le colon qui investit beaucoup de capitaux dans la colonie est doublement intéressant : d'abord, il apporte sa contribution à la constitution du capital local, très insuffisant ; ensuite il se trouve attaché au pays par cet investissement qu'il lui sera difficile de récupérer en espèces s'il veut partir. On voit également quelle petite guerre se livraient entre eux les établissements coloniaux pour attirer les émigrants. Dans le numéro 176, Mostini écrivant son premier article avait fait vibrer la corde du sentiment de solidarité (8) , ici c'est l'amour-propre qui est sollicité de diverses façons et, pour faire bonne mesure, Romagné brandit l'épouvantail des maladies tropicales qui sévissent à Madagascar afin de détourner les émigrants d'une terre de colonisation, possible rivale de la Nouvelle-Calédonie.
Puis, la colonisation par la canne à sucre semblant provisoirement mise en sommeil, la polémique s'arrête et Le Moniteur se fait, au début de 1866, le messager de l'Administration pour promouvoir la création de plantations de café.
Ce qui a sans doute le plus contribué à faire apparaître le gouverneur Guillain comme un disciple des utopistes, c'est l'expérience de colonisation par le "phalanstère" de Yaté.
Quelques jours après l'arrivée de cent dix immigrants attirés en Nouvelle-Calédonie par la propagande faite en France à l'initiative du gouverneur Guillain, un groupe de personnes demande l'autorisation de fonder une société agricole à caractère d'association coopérative. Les statuts de la société sont déposés le 27 décembre 1863. L'association est composée au départ de quatorze passagers de la Sibylle et de six habitants de Port-de-France, trois familles en fait. (9)
Or, si Guillain favorise la création de cette société qui prétend appliquer les idées exposées par le prince Louis-Napoléon Bonaparte dans L'Extinction du Paupérisme, s'il est de tout cœur avec les colons qui la constituent et dont il espère le succès, rien ne permet d'affirmer qu'il était l'initiateur de cette entreprise.
Le Moniteur assure la publication intégrale de l'acte de société en même temps que paraît l'arrêté du gouverneur qui autorisait l'association (10) . Dans les "Variétés" du numéro suivant le rédacteur évoque les multiples efforts du gouverneur pour attirer des colons, justifie l'entreprise nouvelle et décrit le départ des colons pour Yaté, départ que le gouverneur a honoré de sa présence et d'un discours d'encouragement où il prononce au moins une phrase d'inspiration franchement fouriériste avant de conclure par une belle vision tout à fait utopiste d'une Nouvelle-Calédonie mise en valeur par des associations agricoles émules de celle de Yaté. (11)
Guillain avait cependant pris la précaution de placer la société sous l'autorité d'un directeur nommé par l'Administration parmi les membres de l'association. Le choix du nommé Leloup s'est avéré mauvais puisqu'il est implicitement présenté comme responsable, par imprudence, de l'incendie qui, neuf jours après leur arrivée à Yaté détruisit toutes les ressources des associés.
Dans le numéro 225 du Moniteur on trouve le récit de la catastrophe. Le 14 mars 1864, un arrêté concède à titre gratuit à la société, soixante-quinze hectares de terres représentant les bons de terres de trois nouveaux sociétaires, puis plus rien, le journal cesse, vraisemblablement en même temps que le gouverneur, de s'intéresser au phalanstère,
Une idée semblait aller de soi pour attirer du monde en Nouvelle-Calédonie : après les ruées vers l'or des années 1848-50 en Amérique et en Australie, il suffirait de trouver de l'or dans la colonie française pour provoquer un afflux d'hommes, tentés par le mirage de la fortune, et aussi des capitaux.
Le Moniteur se fait le propagandiste des prospections entreprises à l'initiative d'un groupe d'habitants de la colonie qui ouvrent une souscription pour la recherche de l'or en Nouvelle-Calédonie, huit mois après l'arrivé de Guillain.
Le numéro 196 annonce triomphalement la découverte d'or. Le 26 septembre 1863 est publié un arrêté sur l'exploitation des terrains aurifères et dans les Nouvelles Locales du numéro 236 on trouve une "analyse d'échantillons aurifères", prometteuse jusqu'à un certain point, nullement convaincante. L'île ne recelant pas de terrains aurifères rentables, l'échec des prospections ne permettait pas de poursuivre une campagne de presse attractive aux émigrants de tous horizons sur le thème de l'or.
De nickel, la grande richesse naturelle de la Nouvelle-Calédonie, il n'est pas encore question, mais Jules Garnier, ingénieur des mines chargé par le Ministère d'une mission d'exploration géologique en Nouvelle-Calédonie, parcourt la Grande Terre en 1864-65 et un premier état de son rapport est publié par Le Moniteur en juin 1865. Des espérances y sont données sur les ressources minières de la Nouvelle-Calédonie, nais rien encore d'assez probant pour attirer capitaux et main-d'œuvre. (12)
L'événement le plus important pour l'avenir immédiat de la Nouvelle-Calédonie c'est la création du bagne.
Quand, après avoir été désigné pour devenir le premier gouverneur en titre de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, Charles Guillain s'embarqua pour Port-de-France, il savait qu'il aurait pour tâche d'établir un pénitencier dans la colonie.
Choisi par l'empereur autant sans doute à cause de ses idées généreuses que de ses compétences, Guillain pouvait espérer que la colonisation pénale serait une aide pour la colonisation libre qui jusqu'alors n'avait progressé que très lentement, il ne pouvait cependant se faire d'illusions quant au caractère répulsif que cette transformation de la colonie pourrait exercer sur d'éventuels immigrants libres. Or, cette immigration libre, nous avons vu combien Guillain voulait absolument la favoriser. Il lui fallait donc donner à l'extérieur une image rassurante du bagne, une image de condamnés désireux de s'amender, dévoués à l'œuvre de colonisation, qui seraient des "ouvriers de la transportation" effectuant les gros travaux sans lesquels la mise en valeur de la colonie n'était pas possible par manque de main-d'œuvre.
C'est Le Moniteur qui devait être l'organe essentiel de cette propagande.
La colonie est informée par le journal officiel du 20 décembre 1863 qu'un décret impérial en date du 2 septembre autorise la création de pénitenciers en Nouvelle-Calédonie et qu'un premier contingent de deux cent cinquante transportés doit prochainement quitter la métropole à destination de Port-de-France.
Le 20 février 1864 est publié l'arrêté du gouverneur promulguant le décret impérial du 2 septembre 1863, "ensemble de la loi du 30 mai 1854, ainsi que du décret du 29 août 1855 portant création d'établissements pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie". Suivent les textes des décrets et loi précités.
Cette loi du 30 mai 1854 est tout entière conçue dans l'esprit d'une utilisation des transportés en vue de réaliser une œuvre de colonisation là ou 1a colonisation libre ne parvient pas à s'établir sans toutefois faire obstacle à cette dernière. Essentiellement la loi a pour but de faire en un premier temps du condamné un auxiliaire de la colonisation (article 2), et en un deuxième temps, s'il s'est amendé, de le transformer en une sorte de colon forcé racheté par le travail (articles 6,11 et 13).
Le 9 mai 1864, la frégate Iphigénie arrivait en rade de Port-de-France ayant à son bord le premier contingent de transportés, "presque tous des ouvriers" signale Le Moniteur du 15 mai en rapportant que dès le lendemain, le gouverneur s'est rendu à bord et s'est adressé aux condamnés en ces termes :
"Ouvriers de la transportation...
Vous êtes envoyés en Nouvelle-Calédonie pour participer aux travaux importants à exécuter dans cette colonie je vous y attendais impatiemment comme des auxiliaires dévoués de cette œuvre, et vous ne tromperez pas, je l'espère, la confiance que j'ai mise en vous..."
Dans la suite de son discours, le gouverneur invite ses auditeurs à s'efforcer de se racheter Par le travail et garantit une réinsertion dans la société à ceux qui se conduiront bien ; il les dissuade ensuite de nourrir des projets d'évasion, chez les populations insoumises encore, les évadés seraient victimes des habitudes d'anthropophagie toujours pratiquées par elles et de la part des indigènes ralliés ils n'auraient à attendre qu'une arrestation immédiate.
Quelques jours plus tard, le 28 mai le gouverneur présidait à l'installation des transportés dans le pénitencier de l'île Nou. Dans Le Moniteur le rédacteur du compte-rendu de la cérémonie est tout à fait rassurant :
"A l'issue de la cérémonie, personne ne voyait plus en eux des gens hostiles, la répulsion était vaincue. Chacun sentait que l'énergie de ces infortunés pouvait désormais être tournée vers le bien : un courant de confiance sympathique circulait entre tous".
L'aumônier de l'Iphigénie dit la messe en plein air devant les condamnés et la troupe. Puis le gouverneur fit un discours à l'issue duquel il annonça que les condamnés ne porteraient plus la chaîne. L'enthousiasme fut alors très grand chez les transportés. L'atmosphère générale était réellement baignée de bons sentiments.
À la fin de l'année 1864, Le Moniteur reproduit une lettre du gouverneur au directeur du pénitencier par laquelle il fixe les fêtes auxquelles participeront les "ouvriers de le transportations", il devait y en avoir trois : le 25 décembre, la Nativité serait la fête "spéciale" du pénitencier, le 28 mai pour commémorer son inauguration et le 15 août, jour de la Fête nationale.
Ainsi, tel qu'il était présenté par Le Moniteur, ce pénitencier n'avait rien de bien inquiétant : les transportés y étaient peu nombreux, isolés sur l'îlot Nou, bien surveillés, mis en condition de se racheter, c'étaient des ouvriers et, quand on sait pour quels motifs bénins les tribunaux de l'époque condamnaient au bagne, on peut penser qu'il ne s'agissait pas de bien grands criminels et que les lecteurs du journal qui savaient cela seraient rassurés.
Dès lors, l'attitude du gouverneur vis-à-vis de ces transportés était-elle d'un utopiste ? Etant donné les circonstances, l'attitude de Guillain nous paraît plutôt réaliste, il devait savoir à qui il avait faire et jusqu'où il pouvait pousser la clémence avec ces hommes à qui il n'omet toutefois pas de rappeler que "en tous cas ils seront traités selon leurs œuvres" étant bien entendu que l'indulgence de se part ne saurait aller jusqu'à l'impunité d'une criminelle persévérance. (13)
Guillain était un marin, un gouverneur militaire et la loi maintenue par le décret impérial du 29 août 1855 précise en son article 3 que :
"Tous les individus subissant à quelque titre que ce soit, la transportation dans les colonies pénitentiaires d'outre-mer, sont assujettis au travail et soumis à la subordination et à la discipline. Ils sont justiciables des conseils de guerre ; les lois militaires leur sont applicables".
Autrement dit, les transportés ne devaient représenter pour la population libre aucun danger, au contraire, bien employés ils devraient en devenir les plus précieux auxiliaires dans l'œuvre de colonisation à réaliser.
Vision utopiste ou illusion sciemment orchestrée par voie de presse, tromperie même ? Guillain savait que l'un des aspects principaux de sa mission serait d'organiser l'installation du bagne, il n'en a pas moins déployé tous ses efforts pour favoriser au maximum la colonisation libre sans laquelle la colonie ne pouvait sainement évoluer.
Quoi qu'il en soit, le gouverneur s'aperçut très vite qu'il ne pouvait accorder aux "ouvriers de la transportation" toute la confiance qu'il aurait souhaité.
En juillet 1866 arrivait un second contingent de 197 transportés. Dès lors la population pénale représentait un cinquième de la population européenne. Lorsqu'un troisième convoi apportant 247 nouveaux bagnards arriva le 21 juillet 1867, Guillain avait déjà connu les premières déceptions causées par des actions criminelles mineures mais surtout par des tentatives d'évasions massives. La solution aux problèmes ainsi posés, il crut la trouver en dispersant les condamnés pour isoler les meneurs : on inaugura le pénitencier agricole de Bourail à cinq jours de navigation du chef-lieu.
C'est bel et bien l'envoi en nombre trop important de condamnés où les criminels endurcis étaient de moins on moins l'exception qui devait par la suite entraîner un accroissement exagéré des prérogatives d'une Administration pénitentiaire corrompue par son excès de pouvoir et compromettre une œuvre de colonisation où le bagne aurait dû jouer un rôle moteur de façon permanente alors qu'il a trop fréquemment été une entrave coûteuse au progrès de la colonisation libre.
- Le Bulletin de la Société de Recherches de la Nouvelle-Calédonie.
Une publication qui peut surprendre vient, au début de 1870 rompre l'unicité de la production de presse néo-calédonienne, c'est le Bulletin de la Société de Recherches de la Nouvelle-Calédonie qui inaugure la série des publications éphémères dont la presse locale allait être prodigue. Il n'est pas sans intérêt de remarquer qu'il s'agissait d'une revue qui se voulait à caractère scientifique, après sa disparition, rien ne devait paraître de semblable en Nouvelle-Calédonie avant longtemps.
Dans Le Moniteur du 26 décembre 1869, le capitaine du génie Ed. Paté fait état d'un projet de création d'une "société libre pour l'avancement de la connaissance de la Nouvelle-Calédonie".
Ayant pu apprécier combien il était difficile d'acquérir isolément les connaissances nécessaires à la mise en valeur de telle partie du pays, de telle activité agricole ou industrielle, bien que des médecins, des colons, des voyageurs aient publié des relations de leurs explorations, tout simplement parce que ces publications étaient dispersées et parfois contradictoires, Paté suggérait que fût créée une société de recherches réunissant des hommes aux connaissances diverses qui mettraient en commun leur savoir afin d'examiner tous manuscrits qui leur seraient adressés pour faire avancer la connaissance de la Nouvelle-Calédonie et décider de l'éventualité de leur publication.
L'idée de faire paraître un "Bulletin" sous l'égide de la société est clairement exprimée, cependant le type n'en est pas encore défini, Paté pense qu'une sorte d'almanach représenterait déjà un beau résultat.
Appel pressant est fait aux souscripteurs-sociétaires qui auraient à payer cinquante francs annuels et à fournir dans la mesure de leurs possibilités des rapports sur leurs connaissances des choses du pays ; il leur est demandé de se manifester avant le 15 janvier afin qu'une réunion préparatoire puisse être organisée si les adhérents sont en nombre suffisant.
Ce genre d'entreprise entrait tout à fait dans les vues du gouverneur Guillain qui ne pouvait manquer d'y apporter son appui en même temps que son entière approbation si, tout bien pesé il n'en était pas lui-même plus ou moins l'inspirateur. Il était question en effet d'une "société libre", c'est à dire non officielle, mais son initiateur était un officier du génie, un subordonné du gouverneur et il s'agissait en fait de constituer une association du même genre que ces sociétés de géographie qui, au XIXème siècle, contribuèrent tant à la construction des empires coloniaux et dont les militaires comptaient parmi les correspondants privilégiés.
Cette société, qui est peut-être la dernière touche de l'œuvre de Guillain en Nouvelle-Calédonie ne devait pas porter sa signature. L'arrêté qui autorise la constitution de la société est publié dans Le Moniteur du 17 avril 1870, il porte la date du 24 mars et la signature du gouverneur par intérim Ruillier. Guillain avait quitté définitivement la colonie le 13 mars.
Au mois de mai 1870 paraît le premier numéro du Bulletin de la Société du Recherches de la Nouvelle-Calédonie. Il comporte un historique des faits qui ont amené la création de la Société, l'arrêté d'autorisation, les statuts et la composition de la Société. Le droit d'entrée a été abaissé à vingt-cinq francs et donne droit à l'envoi gratuit du Bulletin à tous les membres sans distinctions, qui sont au nombre de soixante-dix fondateurs dont une vingtaine sont des militaires ou des employés de l'Administration. (14)
Le Bulletin est un petit fascicule de seize pages qui est sorti à intervalles irréguliers des presses de l'imprimerie du Gouvernement : le second numéro a été déposé le 10 août 1870, les troisième et quatrième le 4 mai 1871.
La Société de Recherches semblait cependant tenir ce qu'elle avait promis, le numéro 2 présente une notice sur les territoires entourant la baie de Saint-Vinccent (15) et une note sur le coprah ; le numéro 3 comporte essentiellement une étude sur les propriétés utilitaires de l'aleurites triloba, arbre tropical plus simplement connu sous le nom de "bancoul" et produisant une noix oléagineuse. L'un de ces textes, repris ultérieurement par Le Moniteur était extrait du Messager de Tahiti, la Société ne se souciait pas de publier des textes nécessairement originaux se rapportant exclusivement à la Nouvelle-Calédonie, elle n'hésitait pas à recourir à des emprunts s'ils pouvaient s'avérer utiles aux colons.
Enfin, la Société, consciente de l'importance que pourrait avoir pour la colonie la découverte de gisements d'or, décida de déléguer quelqu'un de compétent afin d'étudier sur le terrain, c'est à dire dans le nord de la Grande Terre, l'éventualité d'exploiter des filons aurifères rentables. Le numéro 4 est presque tout entier occupé par une Note sur les Gisements aurifères du Nord de la Nouvelle-Calédonie, due à C. Vernier, "conducteur de première classe des ponts et chaussées".
Ce devait le dernier numéro. Peut-être doit-on attribuer à cette initiative de la Société de Recherches la reprise de la prospection d'or en Nouvelle-Calédonie. Couronnées de quelques succès dans la vallée du Diahot, ces recherches occasionnèrent un petit mouvement d'immigration en provenance de l'Australie, mouvement qui, si modeste fût-il, causa quelque surprise aux habitants de Nouméa qui n'étaient pas préparés à un tel afflux de travailleurs libres et se révélèrent incapables de fournir à tous un logement provisoire décent. (16)
- Le Moniteur, après 1870.
Jusqu'à la fin de 1874, Le Moniteur resta le seul journal de la colonie.
Il changea peu jusqu'à sa disparition en 1886, le modèle mis en forme en 1862, lors de la transformation en imprimerie typographique de l'atelier de lithographie d'où était sorti le premier numéro du journal officiel, se perpétua. Les thèmes traités dans la Partie non officielle du temps du gouverneur Guillain continuèrent d'être repris, approfondis et développés au fur et à mesure que l'on approfondissait la connaissance de la Nouvelle-Calédonie et que se développait la colonisation, mais les événements d'Europe surtout devaient contribuer à faire évoluer le journal.
À partir de février 1871, Le Moniteur cesse de paraître le dimanche pour être distribué le mercredi et il comporte en première page un sommaire dès le numéro 593 du 5 février. Un nouveau rédacteur arrivé dans la colonie prend en main le journal il s'agit d'Alfred Laborde qui assurait outre les fonctions d'interprète de la langue anglaise au Secrétariat colonial celles de professeur d'anglais dans les écoles de garçons et de filles du chef-lieu. Alfred Laborde avait déjà participé à des activités de presse en publiant dans Le Moniteur une Notice sur l'Ile Howe et en inaugurant une approche pacifique et ethnologique du monde mélanésien avec la Légende de Chépénéhé (17). Il devait être le premier à faire en Nouvelle-Calédonie une véritable carrière dans la presse, exemplaire par les nombreux avatars qui la caractérisent.
C'est le 18 septembre 1870 qu'un entrefilet en première page du Moniteur apprend aux habitants de la colonie que la France est entrée en guerre contre la Prusse le 19 juillet.
Durant toute l'année 1871 les nouvelles d'Europe prennent le pas sur les nouvelles locales, mais elles sont publiées avec deux mois de retard sur la presse métropolitaine, ce délai très long dû à l'éloignement est l'un des handicaps que la presse néo-calédonienne, aura à supporter de longues années durant, sans parvenir à le surmonter vraiment même après que la Nouvelle-Calédonie a été reliée a l'Australie par un câble télégraphique sous-marin, en 1894.
Cependant, dès 1872 une première expédition de dépêches a lieu en Australie pour inaugurer le télégraphe anglo-australien, laissant augurer un proche progrès, tout au moins pour les nouvelles de toute première importance mais il faudra compter encore longtemps avec les délais d'acheminement par voie de terre de Port-Darwin à Sydney (quatre, à cinq jours), puis de Sydney à Nouméa par voie de mer (sept jours en moyenne).
Les sources d'information les plus importantes, pour Le Moniteur étaient les journaux australiens dont les nouvelles qu'ils donnaient sur la guerre étaient reprises, méfiance nationale oblige, "sous toutes réserves'', et les journaux français dont les articles étaient, à l'arrivée du courrier, reproduits intégralement ou partiellement avec indication de l'origine.
On apprend par Le Moniteur du 29 janvier 1871 qu'à Melbourne va être édité un journal en langue française ayant pour titre L'Écho, destiné à l'usage des colons français, belges, suisses, italiens et autres pour qui n'existait jusqu'alors aucun journal particulier en Australie. Ainsi, alors que dans la colonie anglaise allait paraître un journal en français, en Nouvelle-Calédonie il n'y avait encore rien, en dehors du domaine officiel, en matière de presse : ni imprimerie privée, ni journal.
Cependant, le chiffre d'affaires de l'imprimerie du Gouvernement, bien qu'établi sur un budget déficitaire est en sensible augmentation comme on peut s'en rendre compte à la lecture du budget annuel de la colonie, publié en détail à partir de 1869. Le nombre d'abonnés payants au Moniteur est en progrès et le premier Annuaire sort des presses fin décembre 1871. (T02)
En fait, le début des années 1870 est une période charnière pour la Nouvelle-Calédonie qui semble enfin sur le point de s'éveiller. À côté des nouvelles de la guerre puis de l'insurrection parisienne, on peut lire de nombreux articles qui maintiennent l'espoir d'un enrichissement de la colonie par une exploitation rentable de l'or découvert dans le nord et dont l'heureuse découverte d'un gisement de cuivre à forte teneur devait prendre rapidement le relais. Un service de cabotage "tour de côte" mis en adjudication pour être assuré régulièrement suscite en juin 1872 cinq soumissions, ce qui prouve une certaine vitalité de l'intérieur de la colonie et provoque l'enthousiasme du rédacteur du Moniteur. (18)
Pour la première fois un établissement bancaire va s'ouvrir dans la colonie. Cette banque, dont il était question depuis longtemps est l'objet d'une curieuse controverse dont Le Moniteur se fait le publiciste impartial. La fondation de la banque étant assortie de la création d'une compagnie de colonisation, un parti se forme pour s'opposer à cette combinaison et deux pétitions circulent, l'une en faveur de la création de la société et l'autre contre. Ces pétitions sont publiées alternativement suivies des noms des signataires, ce qui permet à deux opinions contraires sur une question vitale pour l'avenir de la colonie de se faire connaître du public par l'intermédiaire du seul organe de presse local.
Cette dualité d'opinion rendue publique mais que l'Administration aurait pu orienter à son gré en n'ouvrant les colonnes du Moniteur qu'à la tendance de son choix, a dû contribuer à faire prendre conscience à la population nouméenne qu'en 1874 un seul journal pour la Nouvelle-Calédonie, officiel de surcroît, ce n'était plus suffisant.
Durant ces premières années de la décennie, les pages du Moniteur contiennent des informations, des commentaires où l'on sent vibrer toute une vie naissante avec surtout l'espoir, cette fois concrétisé, d'un afflux d'immigrants considérable, il s'agit des déportés de la Commune dont certains doivent être rejoints par leur famille, ainsi que des Alsaciens et Lorrains qui, ayant choisi de rester Français, quittent leur terre natale et vont tenter de reconstituer un patrimoine dans les colonies.
Il arrive d'ailleurs à cette époque des immigrants originaires d'autres régions de France qui viennent librement en Nouvelle-Calédonie et pas dans l'intention d'y devenir forcément colons ou chercheurs d'or.
Pour ce qui concerne tout particulièrement le sujet de la présente thèse, en dehors de quelques Communards professionnels du journalisme dont je décrirai plus loin les réalisations et l'influence, des hommes qui devaient jouer un rôle dans la presse néo-calédonienne encore à naître, c'est à dire la presse non officielle, viennent alors de leur propre chef s'établir dans la colonie. (19)