Le Parisien Illustré (1878)

LE PARISIEN ILLUSTRÉ (N° 1, du 5 octobre 1878)
LE PARISIEN ILLUSTRÉ (N° 1, du 5 octobre 1878)

54 - ( PaI) - Le Parisien Illustré.

 

(5/10/1878 - 28/11/1878).

 

Avec l'Album de l'Ile des Pins, c'est la plus belle production de la presse des déportés. Ce journal fait suite au Parisien Hebdomadaire, comporte huit pages par numéro, lithographiées sur trois colonnes de format 41 x 26,5cm. Chaque exemplaire coûte 40 c à l'île des Pins, 50 c à Nouméa, l'abonnement mensuel revient respectivement à 1,50 F et 2 F. La collection complète contient huit numéros.

Louis Barron est "l'éditeur responsable", Henri Guéritte en est "l'administrateur", puis Hubé lui succède à ce poste dès le N° 2. L. Barron et H. Guéritte signent une partie des articles avec à leurs côtés Victor Cosse, Alphonse Pélissier, Mercutio, Jules Renard, Joannès Caton comme rédacteurs et Joseph Loth comme illustrateur à qui l'on doit :

 

- N° l : Une grotte à l'Ile des Pins.

- N° 2 : Arabe marchand de fromage.

- N° 3 : Distribution des lettres à l'Ile des Pins.

- N° 4 : Vue prise du camp des Arabes.

- N° 5 : Plan du Champ de Mars et du Trocadéro (pour accompagner l'article de Victor Cosse sur l'Exposition).

- N° 6 : Déportés marchands de légumes.

- N° 7 : Cascade du deuxième groupe.

- N° 8 : L'hôpital de l'Ile des Pins.

 

Le Parisien Illustré est produit par l'Imprimerie lithographique Hocquard et Vitry, puis Paupardin et Vitry, puis Bergès et Vitry ; l'imprimerie est devenue en deux temps la propriété du principal responsable de l'Album, T. Bergès. Le numéro 8 du Parisien Illustré qui aurait dû paraître le 23 novembre ne sort que le 28. On y lit en page 2 l'entrefilet suivant :

 

"Nous sommes obligés de suspendre pendant le mois de décembre la publication du Parisien Illustré. Des difficultés matérielles rendent momentanément notre tâche trop difficile. Malgré tous nos efforts l'impression de notre journal à subi dans le cours de ce mois des retards nombreux aussi fâcheux pour nos lecteurs, que nous n'avons pu servir à jour fixe, que préjudiciables à nos intérêts.

Nous n'acceptons pas la responsabilité qui nous est faite. Ce qui est vrai c'est que l'imprimerie unique de l'Ile des Pins devenue la propriété de l'Album est incapable d'imprimer régulièrement le Parisien.

Mais nous espérons que le Parisien Illustré reparaîtra au mois de janvier dans de meilleures conditions de succès. Nous ne disons pas adieu à nos lecteurs mais au revoir !"

 

Il s'agissait cependant d'un adieu, Le Parisien Illustré ne devait pas reparaître par suite de la dislocation de l'équipe (A. Pélissier annonce son intention de cesser sa collaboration dès le numéro 7) et de l'hostilité de T. Bergès, propriétaire de l'imprimerie, qui est selon toute vraisemblance l'auteur de la lettre signée "B", dont des extraits sont publiés en page trois du numéro 7 du Parisien, où ce journal est qualifié d' "infâme" et de "panier aux ordures littéraires de la déportation".

 

Localisation : B.N. - Jo.3083 - ; B. de l'Archevêché à Nouméa.

 

Pour répondre à l'attente de Sofia : deux illustrations, et les textes qui les accompagnent, relatives aux déportés arabes.

1- L'illustration de première page du numéro 2 (12 octobre 1878), signée J. Loth :

"Un douar à l'île des Pins"

 

En seconde page figure un article de Louis Barron reproduit ci-dessous.

 

Nos voisins les Arabes.


Il y a douze ans de cela.

Je traversais pour la première fois, moi soixantième, la pittoresque région qui s'étend montueuse et boisée entre Médéas et Boghar, limite extrême du Tell algérien.

J'allais, fatigué de gravir les monts croissant sans cesse, mais les yeux, mes yeux de vingt ans, émerveillés du spectacle varié qui se déroulait devant nous.

Le pluies torrentielles d'automne avaient tout reverdi, et le brûlant soleil de Novembre colorait d'une teinte d'or les roches grisâtres, les cactus, les cimes de chênes lièges et les buissons de rhododendrons.

À notre approche, les lézards verts, les caméléons, hôtes effrayés de ces solitudes, se glissaient furtivement sous les pierres.

La route où nous passions est peu fréquentée, les arabes nomades lui préfèrent les petits sentiers frayés sur le flanc des collines. Des hauteurs, ils surveillent mieux leurs troupeaux éparpillés de chèvres et de brebis.

Tout à coup, à un détour de la route, nous fûmes témoins d'une scène touchante, d'une bucolique, si vous voulez, dont le merveilleux pinceau d'Eugène Fromentin, le peintre de la "chasse au faucon", eut fait un chef-d'œuvre d'art.

Un vieillard, drapé de quelques haillons, s'avançait lentement de notre côté. Il s'aidait d'un long bâton et marchait avec la gravité d'un sénateur. Plus loin, un jeune cavalier monté sur un cheval de race et vêtu d'un brillant costume, allait au galop dans la même direction. Les deux voyageurs se rencontrèrent.

Aussitôt, le cavalier mit pied à terre, s'inclina profondément devant l'humble piéton, lui prit la main et la baisa. Puis ils se donnèrent l'accolade et chacun poursuivit son chemin interrompu. Ce fut tout.

Cette scène de mœurs, si courte, m'a cependant laissé une impression ineffaçable tant me frappèrent le grand qir de dignité du pauvre patriarche - un mendiant peut-être - et l'expression simple attendrie de respect et de soumission filiale du jeune homme riche qui le saluait dévotement.

N'était-ce pas comme un commentaire vivant des récits bibliques, des temps poétiques d'Abraham et d'Ismaël ?

La vénération de la vieillesse est en effet l'une des antiques habitudes de la race. Mahomet la recommande aux fidèles dans plusieurs Surates du Coran. Les barbes blanches exercent dans les tribus une autorité morale incontestée, et les plus puissants chefs soumettent leurs volontés au contrôle des hommes les plus âgés.

Attachés surtout aux traditions orales ou écrites qu'ils tiennent eux-mêmes de leurs anciens, les vieillards les transmettent intactes, comme dogmes, articles de foi, à leurs enfants et ce n'est pas l'une des moindres causes de l'immobilisme des (?).

J'avoue cependant que ce côté sérieux des mœurs arabes me séduisit. Plus tard, il me fut donné de fréquenter les douars et ma première impression se modifia singulièrement.

Si le vieillard est vénéré, il n'en est pas de même de la femme. La mère de famille, telle que nous le comprenons, n'existe pas sous la tente en poils de chameau, le gourbi de feuillage ou la maison blanche et nue de l'Arabe. Deux, trois, quatre femmes, ce chiffre dépend de la fortune du maître, y figurent habituellement accompagnées, tissant la laine ou la soie, broyant la poudre, astiquant les armes du chasseur et les harnais du cheval, préparant les aliments.

Ce sont des choses du mobilier, des objets indispensables à la génération, évalués au point de faire qu'on les désigne avec toute la galanterie imaginable sous le nom de Soleil, de Lune, d'Étoile, de Gazelle et d'Autruche avant de les posséder, puis que l'on oublie ensuite dans un coin.

- Comment peux-tu mener ton ménage à quatre femmes ? Disais-je à Ben-Ahmed, cavalier du goum de D'jeffa.

- Àcoups de matrak - me répondit-il le plus naturellement du monde - en me montrant un énorme gourdin.

Aussi la jeune fille arabe, quelquefois fort jolie à 15 ans - devenue femme est une petite vieille dix ans après. À 26 ans, vous lui en donneriez 50, et plus.

Quant aux enfants, l'éducation qui leur est réservée dépend de leur sexe. - S'agit-il d'élever une fille ? On la calfeutre au logis, on la soigne, on l'engraisse, on lui peint le visage, on la couvre d'ornements brillants afin, - vous le devinez - d'en tirer vite, - lorsqu'elle a 6 à 10 ans - un bon prix ; car le fiancé achète sa promise dès la prime jeunesse, et ne l'épouse réellement qu'à 14 ans - Les parents amorcent la clientèle. - S'agit-il d'un garçon - on lui apprend à lire les versets du Koran ou à s'en rappeler, puis on passe à l'étude du cheval qui est le point essentiel, capital, de la vie arabe.

Le cheval, ce noble animal, aux jambes fines, au jarret nerveux, au cou élégant, à la tête si fière et si gracieuse, voilà le compagnon chéri, l'ami fidèle, l'idole adorée de l'arabe. Pour lui, il n'a jamais asses de caresses, de prévenances ; il épuise, à le flatter, toutes les ressources de sa langue si riches en comparaisons hyperboliques. Et le cheval, - qui sait à merveille le faible de son cavalier, - lui rend en adresse, en prudence, à la guerre, aux fantasias, toutes ses câlineries.

N'avoir plus de cheval, - voilà, j'en suis persuadé, le plus vif chagrin de l'arabe déporté. Il en est inconsolable. Les Français regrettent leurs familles, leurs enfants, l'arabe regrette son coursier. Mais il se résigne aux volontés suprêmes d'Allah.

Au reste, son instinct nomade le préserve du découragement. La patrie n'est pas pour lui ce qu'elle est pour nous, hommes de l'occident. Sa patrie n'est pas en Afrique, elle n'est pas non plus en Asie, entre la mer rouge et le mer d'Oman ; elle est partout où flotte l'étendard de l'Islam, partout même où il veut fixer sa tente. Mahomet lui a prescrit la conquête du monde et ses ancêtres valeureux - obéissant au Prophète - ont, au Moyen-âge, couvert l'Europe de leurs migrations guerrières. L'Arabe moderne, bien que fort ignorant, connaît cependant cette période éclatante de son histoire. Aussi les liens qui l'attachent à son berceau sont-ils fragiles. Pourvu que ses coutumes, ses lois, ses usages soient respectés, il n'est pas pour lui de terre étrangère.

Je n'entends pas dire que la déportation soit indifférente à nos compagnons, loin de là. La privation des conditions normales de l'existence leur fait sentir toute l'amertume de la captivité. Mais une religion fataliste adoucit leurs souffrances.

À l'Ile des Pins, cantonnés dans le douar que représente notre dessin et dans la plaine aride de la 5èmeCommune, les arabes exercent les qualités natives de la race. Ils sont pasteurs et marchands.

C'est ainsi qu'ils nous apparaissent à toutes les époques paisibles de leur histoire. On n'a pas tué les chameliers, les bouviers de l'Idumée, ni les marchands actifs de Bagdad, de Bassora qui couvrirent jadis les mers de leurs vaisseaux, et nous ont laissé le récit légendaire de leurs voyages dans les contes des Mille et une Nuits.

L'Arabe, en Nouvelle-Calédonie, se trouve dans son cadre naturel. Les arbres, les plantes de cette île intertropicale sont à peu près les arbres et les plantes de son pays, tel point de vue, telle échappée de paysage, entre deux collines arides semblent avoir été transportées jusqu'ici de certaines régions pauvres de l'Algérie. Peut être nos compagnons, non mélancoliques, mais contemplatifs, songent-ils le soir, quand le soleil couchant empourpre l'horizon de ses derniers feux, aux caprices étranges d'Allah, qui les a voulu placer dans cette image en raccourci de leur patrie. Peut-être, le front tourné vers La Mecque, remercient-ils le Prophète d'avoir ainsi allégé leurs épreuves.

Au moins sont-ils assurés d'une compensation dans l'autre monde.

S'ils passent sans être blessés sur le fil tranchant du glaive, El-ar, qui les sépare du paradis, ils jouissent pour l'éternité du bonheur de monter à cheval, de boire du vin et de caresser les houris.

Tandis que nous !...


L. Barron

 

 

2 - Cette illustration d'un "Arabe marchand de fromage" se trouve en page 4 de ce même numéro du 12 octobre 1878.

 

Elle est suivie d'un texte signé (***) reproduit ci-dessous :

 

Légende de Mahomet.



Suivant la légende musulmane, la naissance de Mahomet fut accompagnée de grands prodiges.

À l'instant où il vint au monde, une lumière éclaira les villes et les bourgades d'alentour ; le palais de Cssersès, alors roi de Perse, s'ébranla : quatre de ses tours s'écroulèrent ; le feu sacré de Zoroastre, allumé depuis plus de mille ans s'éteignit et les lacs se desséchèrent.

Le cadre qui nous est imposé ne nous permet pas de suivre Mahomet dans le récit prodigieux du prétendu voyage nocturne qu'il effectua sous la conduite de l'ange Gabriel,

"Il partit de sa chambre - disent les auteurs musulmans - pour se rendre aux paradis, et ils les parcoururent tous les sept avec une rapidité telle, qu'après les avoir néanmoins exactement visités, il retourna assez promptement dans son lit pour empêcher qu'un vase plein d'eau que l'ange Gabriel avait choqué de l'aile en prenant son vol, ne fut entièrement renversé."

C'est dans le récit de ce voyage merveilleusement approprié à l'imagination orientale que l'on rencontre la source de l'interdit prononcé par le Coran sur l'usage des boissons fermentées et principalement du vin.

Voici d'après le texte musulman comment s'exprime Mahomet à ce sujet :

"À peine eus-je mis le pied dans la maison de l'adoration, qu'un ange me présenta trois coupes : la première était pleine de vin ; la seconde de lait ; la troisième de miel. Je choisis celle où était le lait ; aussitôt une voix forte comme dix tonnerres fit retentir ces paroles : "Ô Mahomet, tu as bien fait de prendre le lait car si tu avais pris le vin, ta nation était pervertie et malheureuse."

La légende est aussi curieuse qu'invraisemblable. Ce ne serait toutefois pas l'avis du marchand de fromage représenté par l'habile crayon de notre dessinateur. Cependant je n'oserais pas répondre à sa constance à obéir aux préceptes du Prophète. Quelquefois le bon musulman s'oublie et comme le duc de Byzance :

"Il aime la France

"Le vin rouge et blanc.