Un bal à la mairie

 

Article publié sous le titre "Bal de la Mairie" en page 2 du journal L'Avenir de la Nouvelle-Calédonie daté du 13 mars 1888.

Rien n'est dit de l'orchestre, il ne s'agissait que de bagnards !


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Le bal de samedi, malgré les pronostics de quelques grincheux, a admirablement réussi.

Les membres du Bureau de bienfaisance, qui en ont fait les honneurs avec beaucoup de tact et de courtoisie, ont pu constater une fois de plus que ce n'est jamais en vain que l'on s'adresse au cœur de notre généreuse population. La recette a été superbe : on nous a parlé de 3,000 francs. Voilà les pauvres à l'abri pour quelque temps.

C'est cette certitude, sans doute, et la conscience d'avoir rempli un devoir envers ceux qui souffrent, qui avaient mis tant d'entrain dans la foule bigarrée qui se pressait à l'Hôtel de Ville.

La salle, vue du haut des marches qui y donnent accès, présentait un aspect féerique. La diversité des costumes, l'éclat et l'opposition des couleurs, surprenaient, charmaient et égayaient les spectateurs.

Nous avons admiré parmi les danseuses trois ou quatre costumes de bon goût et d'une remarquable fraîcheur, que faisaient encore ressortir la grâce et la distinction de celles qui les portaient.

Les danseurs s'étaient également mis en frais de travestissements.

A côté de quelques pierrots et arlequins un peu tapageurs, nous avons remarqué un paysan breton, qui avait l'air si pénétré de son rôle que nous nous attendions à le voir déployer le drapeau blanc en criant : " Dieu et le roy !" ; un jeune abbé de cour, poudré et musqué, plus disposé à coqueter avec les dames qu'à dire sa messe ; un superbe Arabe à la barbe noire, à l'œil brillant ; un jeune incroyable ; un riche et élégant seigneur du temps de Louis XIII, qui n'était autre que notre excellent ami L…, un de nos plus farouches démocrates ; enfin un magicien qui, dit-on, a découvert dans les astres des choses étonnantes, notamment que l'on cultive le tapioca dans la lune.

Inutile de dire qu'on a dansé jusqu'au matin.

En résumé, bonne et profitable soirée, que l'on n'oubliera pas de longtemps.