Une répétition à l'île Nou

 "Tranquillement installée debout, au soleil – pour le photographe, bien sûr, car qui songerait à s'installer en plein air, à 11 heures du matin, même avec un "chapeau de paille" – la musique de la Transportation répète son concert de l'après-midi. On porte la livrée du crime, mais d'avoir en bandoulière la petite sacoche de cuir portant la musique et aux lèvres, un saxophone, une flûte ou une clarinette, font oublier bien des choses. "Quarante exécutants, tous des instrumentistes d'une certaine force et dont certains ont figuré dans les orchestres les plus huppés, dit un chroniqueur de l'époque... La musique est excellente si les musiciens ne valent rien"."

 

 

Patrick O'Reilly. La Nouvelle-Calédonie au temps des Cartes postales (Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1973) 

 

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En fait, il n'est pas du tout sûr que la répétition ait eu lieu "pour le photographe" car l'on était très dur avec les bagnards en ce temps-là et si l'on ignore quels avantages pouvaient tirer de leur place dans l'orchestre de la Transportation les condamnés qui faisaient partie de la formation, en revanche on sait quelles punitions ils encouraient s'ils ne donnaient pas entière satisfaction ; le témoignage du directeur de l'Administration pénitentiaire de l'époque est très clair là-dessus, il ne dit rien de la "carotte", mais le "bâton" était sévèrement administré :

 

"Outre qu'il a le mérite d'une incontestable originalité, puisqu'il est uniquement composé de voleurs et d'assassins, cet orchestre est remarquable ; on en maintient d'ailleurs, avec soin, le niveau artistique, chaque rallentando intempestif se payant d'un jour de pain sec et la moindre fausse note ayant pour conséquence une ou deux nuits de prison, suivant la gravité des cas."

 

 

Paul Mimande – Criminopolis.